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Rapport final : examen des licences d’exportation vers l’Arabie saoudite

Table des matières

Introduction

  1. En novembre 2018, à la suite du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, la ministre des Affaires étrangères a annoncé publiquement que le Canada était en train d’examiner toutes les licences d’exportation vers le Royaume d’Arabie saoudite (RAS). La ministre a également annoncé qu’aucune autre licence d’exportation vers ce pays ne serait délivrée avant la fin de cet examen.
  2. De novembre 2018 à décembre 2019, le Ministère a donc procédé à l’examen de toutes les licences d’exportation existantes pour les marchandises et les technologies contrôlées en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation (LLEI) et destinées au RAS. Parallèlement à ce travail, le Ministère a continué  d’évaluer au cas par cas chaque nouvelle demande de licence d’exportation reçue depuis novembre 2018 pour de telles marchandises et technologies.
  3. En vertu de la LLEI, la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée (Liste) comprend huit groupes de marchandises et de technologies dont l’exportation à partir du Canada vers d’autres pays est contrôlée, et ce, quel que soit le mode de livraison (expédition de marchandise, transfert électronique, services techniques, etc.). Pour l’instant, toutes les licences valides et les demandes de licence d’exportation vers le RAS qui sont en suspens concernent les Groupes 1, 2 et 5 de la Liste :
    • Groupe 1 – « Liste de marchandises à double usage », qui comprend : électronique, systèmes de navigation, capteurs, aérospatiale et propulsion et articles connexes;
    • Groupe 2 – « Liste de matériel de guerre », qui comprend notamment des systèmes d’armes complets (véhicules, aéronefs, navires, armes légères et de petit calibre, artillerie) et des composantes de ceux-ci, des systèmes de contrôle, du matériel de contre-mesures, de l’équipement pour la formation militaire, et des technologies et logiciels conçus spécifiquement à des fins militaires;
    • Groupe 5 – « Marchandises et technologies diverses », et plus particulièrement le sous-groupe « Autres marchandises et technologies militaires et stratégiques », qui comprend notamment les armes à rayon laser aveuglantes, les mines antipersonnel et les réacteurs de fusion nucléaire.
  4. Les licences valides et les demandes de licence pour exporter vers le RAS concernent plus particulièrement les marchandises et technologies suivantes : véhicules blindés légers, systèmes électroniques de contre-mesures, simulateurs de vol, contrôleurs de communication par satellite, démonstrateurs de télécommunication mobiles, systèmes manuels de détection de narcotiques et d’explosifs et satellites technologiques.
  5. Le présent rapport présente les conclusions finales du Ministère Note de bas de page 1 quant à l’existence d’un « risque sérieux » que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires vers le RAS puissent avoir certaines des six conséquences négatives figurant au paragraphe 7.3(1) de la LLEI.
  6. L’examen a été réalisé à partir des informations les plus exactes et complètes qui étaient alors disponibles. De nouvelles informations pourraient modifier les conclusions du Ministère.

Conclusion générale relativement à l’existence d’un « risque sérieux »

  1. Au cours de la dernière année, le Ministère a mis en place un système interministériel solide pour évaluer au cas par cas les demandes de licence en tenant compte des nouveaux « facteurs obligatoires » du Traité sur le commerce des armes (qui sont reproduits au paragraphe 7.3(1) de la LLEI). Le Ministère continuera de suivre de près la situation au RAS et au Yémen et les nouveaux développements sur le terrain auront une incidence sur l’évaluation des demandes de licence puisque le Ministère s’interrogera sur l’existence d’un risque sérieux pour chacune d’entre elles.
  2. Vu la situation actuelle au RAS et les mesures prises par le gouvernement saoudien dans le cadre du conflit au Yémen, le Ministère est arrivé à la conclusion, au terme de l’examen, qu’il y avait un risque sérieux que les exportations canadiennes de certaines marchandises et technologies militaires (engins air-sol, bombardiers, etc.) pour utilisation dans le conflit au Yémen servent à commettre ou à faciliter la commission de violations du droit international humanitaire au Yémen. Cette conclusion prend en compte l’obligation du Ministre de considérer si les mesures d’atténuation disponibles pourraient diminuer le risque sous le seuil du « risque sérieux ». Puisque le Canada ne peut pas mettre en vigueur sa législation en matière de  contrôles à l’exportation à l’extérieur de son propre territoire, il lui faudrait la collaboration ou le consentement du gouvernement saoudien pour mettre en œuvre plusieurs des mesures d’atténuation figurant au paragraphe 17 du présent rapport. Or, une telle chose serait difficile vu l’état actuel de la relation entre le Canada et le RAS. Si des mesures d’atténuation devenaient plus accessibles à l’avenir, le Ministère pourrait arriver à des conclusions différentes quant à l’existence ou non d’un risque sérieux lié à ce genre de marchandises et de technologies. Signalons qu’il n’y a présentement aucune licence d’exportation ou demande de licence faisant partie de cette catégorie.
  3. Pour ce qui est des autres articles militaires – y compris les véhicules blindés légers – le Ministère est arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas de risque sérieux que leur utilisation entraîne l’une ou l’autre des conséquences négatives figurant au paragraphe 7.3(1) de la LLEI.

I. Cadre législatif

  1. La LLEI est le principal texte législatif dont dispose le Canada pour contrôler les exportations et les importations de certaines marchandises et technologies. La LLEI vise notamment à permettre au gouvernement canadien de réglementer, à travers la délivrance de licences, l’exportation de certaines marchandises et technologies stratégiques, dans le respect des intérêts du Canada en matière de politique étrangère, de défense et de sécurité. Le paragraphe 7(1) de la LLEI donne au ministre des Affaires étrangères le pouvoir d’accorder ou non une licence d’exportation à tout résident du Canada qui en fait la demande.
  2. Jusqu’à récemment, le Ministre jouissait d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer si une exportation proposée allait dans le sens des intérêts du Canada, pourvu que sa décision soit étayée par des preuves crédibles, soit basée sur des facteurs pertinents et ne soit pas prise arbitrairement ou de mauvaise foi.

Prise en considération des « facteurs obligatoires »

  1. Le pouvoir discrétionnaire du Ministre a été en partie limité par le projet de loi C-47, qui a modifié la LLEI afin que le Canada puisse adhérer au Traité sur le commerce des armes. Depuis le 1er septembre 2019, le Ministre est tenu, en vertu du paragraphe 7.3(1) de la LLEI, de prendre en considération certains « facteurs obligatoires » au moment de décider de délivrer ou non une licence d’exportation « à l’égard d’armes, de munitions, de matériels ou d’armements de guerre ». Depuis cette date, le Ministre doit plus particulièrement prendre en considération le fait que les marchandises ou technologies mentionnées dans la demande de licence :
    • contribueraient à la paix et à la sécurité ou y porteraient atteinte;
    • pourraient servir à la commission ou à faciliter la commission :
      • d’une violation grave du droit international humanitaire,
      • d’une violation grave du droit international en matière de droits de la personne,
      • d’un acte constituant une infraction au regard des conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme auxquels le Canada est partie,
      • d’un acte constituant une infraction au regard des conventions et protocoles internationaux relatifs au crime organisé transnational auxquels le Canada est partie,
      • d’actes graves de violence fondée sur le sexe ou d’actes graves de violence contre les femmes et les enfants.

Risque sérieux

  1. De plus, en vertu de l’article 7.4 de la LLEI, le ministre est maintenant tenu de refuser l’octroi d’une licence d’exportation « à l’égard d’armes, de munitions, de matériels ou d’armements de guerre » s’il détermine, après avoir pris en compte les mesures d’atténuation disponibles, qu’il existe un « risque sérieux » que l’exportation des marchandises ou des technologies mentionnées dans la demande entraînerait une des conséquences négatives visées au paragraphe 7.3(1). L’absence d’un risque sérieux ne veut pas dire pour autant que le ministre doit délivrer la licence, puisque d’autres considérations stratégiques plus larges pourraient justifier son refus.
  2. Le terme « risque sérieux » n’est pas défini dans la LLEI. Toutefois, en se basant sur les pratiques des autres États parties au Traité sur le commerce des armes et sur la jurisprudence canadienne et internationale pertinente, le Ministère estime qu’il y a un « risque sérieux » s’il existe un risque direct, actuel et prévisible que l’exportation d’une marchandise ou technologie particulière entraîne l’une ou l’autre des conséquences négatives visées au paragraphe 7.3(1) de la LLEI. Pour qu’un risque soit qualifié de « sérieux », il faut qu’il soit étayé par des éléments de preuve et il faut qu’il soit plus qu’une simple possibilité, théorie ou supposition. Ce risque n’a toutefois pas à être hautement probable. Dans la plupart des cas, les éléments minimaux nécessaires pour qu’un risque soit qualifié de « sérieux » seront réunis s’il est plus probable qu’improbable que l’exportation des marchandises ou technologies entraînera l’une ou l’autre des conséquences négatives visées au paragraphe 7.3(1) de la LLEI.
  3. [EXPURGÉ]
  4. Récemment, la Cour d’appel du Royaume-Uni a rendu une décision défavorable à l’encontre du secrétaire d’État au Commerce international du Royaume-Uni dans un dossier portant sur la délivrance de licences d’exportation pour la vente d’armes et d’équipement militaire au RAS. La Cour a estimé que le secrétaire d’État n’avait pas procédé à une évaluation systématique des violations passées présumées du droit international humanitaire par la Coalition dirigée par le RAS au Yémen avant de délivrer les licences d’exportation. La Cour a estimé qu’un tel exercice était nécessaire, vu la nature des exportations, pour évaluer le risque futur de violation.Note de bas de page 2 La Cour a donc ordonné au secrétaire d’État de surseoir à la délivrance des licences d’exportation vers le RAS tant et aussi longtemps que le gouvernement n’aurait pas procédé à une évaluation complète des agissements passés du RAS pour ce qui est du respect du droit international humanitaire. Cette décision d’une cour d’un autre pays du Commonwealth dont le système judiciaire est très semblable à celui du Canada illustre bien l’importance de procéder à une évaluation minutieuse pour déterminer s’il existe ou non un « risque sérieux ».

Mesures d’atténuation

  1. S’il est démontré qu’une exportation proposée pose un « risque sérieux », le ministre doit envisager des « mesures d’atténuation » susceptibles de réduire le niveau de risque. Ces mesures d’atténuation varieront d’un dossier à l’autre, mais elles pourraient prendre les formes suivantes :
    • demander à l’utilisateur final de donner des garanties quant à l’utilisation finale des marchandises ou technologies ou encore de faire une déclaration plus officielle, accompagnée d’un engagement à ne pas utiliser ces marchandises ou technologies d’une manière ou à des fins qui contreviendraient aux dispositions du Traité sur le commerce des armes;
    • procéder à des contrôles après la livraison (certificats de vérification de la livraison, contrôles ou exigences en matière de tenue de registres, etc.);
    • inclure des dispositions relatives à l’échange d’information et à la transparence dans une entente qui serait signée par le Canada et le gouvernement importateur (notamment communiquer des renseignements sur les armes ou articles volés, perdus ou égarés);
    • veiller à ce que les acteurs concernés suivent une formation sur l’application du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de la personne.

Pouvoir ministériel de modifier, de suspendre ou d’annuler des licences d’exportation qui ont déjà été délivrées

  1. Le ministre a non seulement le pouvoir de délivrer des licences d’exportation ou d’en refuser l’octroi, mais il a également le pouvoir, en vertu du paragraphe 10(1) de la LLEI, de « modifier, suspendre, annuler ou rétablir les licences ». Précisons cependant que la LLEI ne dit pas que le ministre doit tenir compte des nouveaux facteurs ou déterminer s’il y a un « risque sérieux » lorsqu’il exerce son pouvoir de modifier, suspendre ou annuler une licence d’exportation qui a déjà été délivrée et qu’elle ne dit pas non plus que ces nouvelles exigences s’appliquent rétroactivement aux licences d’exportation délivrées avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-47. Plutôt, ces nouvelles exigences ne s’appliquent qu’au moment de la délivrance d’une licence si celle-ci est ultérieure à l’entrée en vigueur du projet de loi C-47 (soit le 1er septembre 2019). Par conséquent, pour les fins de l’examen dont il est ici question, le Ministère n’avait pas à tenir compte des nouveaux facteurs dans le cas des licences d’exportation déjà délivrées. Le Ministère a néanmoins décidé, par souci de cohérence stratégique, de tenir compte des nouveaux facteurs autant dans le cas des licences d’exportation déjà délivrées que dans le cas des demandes de licence reçues durant la période où il a procédé à l’examen.

II. Démarche suivie pour déterminer s’il existe ou non un « risque sérieux »

  1. Les sections qui suivent résument la démarche suivie par le Ministère pour déterminer s’il existe ou non un « risque sérieux » que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militairesNote de bas de page 3 vers le Royaume d’Arabie saoudite (RAS) entraînent l’une ou l’autre des conséquences négatives visées au paragraphe 7.3(1) de la LLEI.
  2. Il est important de noter que la capacité du Ministère de recueillir de l’information sur la péninsule arabique et de la vérifier est limitée, et ce, particulièrement dans le cas du conflit au Yémen. Puisque les officiels canadiens ne peuvent pas vérifier eux-mêmes la façon dont les exportations militaires canadiennes vers le RAS sont utilisées, le Ministère doit se fier aux renseignements et aux rapports fournis par l’Unité du renseignement et de la sécurité du Bureau du conseil privé et le ministère de la Défense nationale, ainsi qu’à l’information fournie par les missions canadiennes de la région et les partenaires du Groupe des cinq. Les officiels canadiens ont également étudié les rapports d’organisations internationales (en particulier d’organismes onusiens) et d’organisations non gouvernementales et consulté les médias traditionnels et sociaux.
  3. Nous commencerons d’abord par examiner si les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires vers le RAS contribuent à la paix et à la sécurité ou y portent atteinte. Nous nous demanderons ensuite si les exportations canadiennes actuelles de marchandises et de technologies militaires vers le RAS pourraient servir à la commission ou à faciliter la commission : i) de violations graves du droit international humanitaire ou du droit international relatif aux droits de la personne; ii) d’actes de terrorisme ou d’infractions liées au crime organisé transnational; iii) d’actes graves de violence fondée sur le sexe ou d’actes graves de violence contre les femmes et les enfants.

Critère no1 – Y a-t-il un risque sérieux que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires vers le RAS portent atteinte à la paix et à la sécurité?

  1. En tenant compte des considérations figurant ci-dessous, le Ministère est arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas de risque sérieux que les exportations canadiennes actuelles de marchandises et de technologies militaires vers le RAS portent atteinte à la paix et à la sécurité, et ce, que ce soit à l’échelon national ou régional.
  2. Puisque le paragraphe 7.3(1) de la LLEI s’inspire de l’Article 7 du Traité sur le commerce des armes (TCA), le Ministère a examiné comment les concepts de paix et de sécurité sont interprétés dans le contexte du Traité. Le Ministère estime que ces concepts appellent nécessairement une évaluation du risque posé par les exportations proposées pour la sécurité nationale du Canada.

Sécurité nationale du Canada

  1. Le Ministère est arrivé à la conclusion qu’il n’existe pas de risque sérieux que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires posent une menace directe ou indirecte pour la sécurité nationale du Canada.
  2. Le RAS ne s’est pas engagé à respecter les mêmes normes que le Canada pour ce qui est des exportations ou de l’utilisation de certaines armes. En effet, le RAS n’est pas membre des quatre régimes multilatéraux de contrôle des exportations (le Groupe des fournisseurs nucléaires, le Groupe de l’Australie, l’Arrangement de Wassenaar et le Régime de contrôle de la technologie des missiles). De plus, le RAS n’est pas un État partie au Traité sur le commerce des armes, à la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel ou à la Convention sur les armes à sous-munitions. Le RSA a toutefois signé et ratifié la Convention sur les armes biologiques et la Convention sur les armes chimiques.
  3. Le RAS est cependant un partenaire solide pour les principaux alliés du Canada en matière de sécurité et de défense, y compris les membres du Groupe des cinq et de l’OTAN. Compte tenu de ce partenariat de longue date, la probabilité que le RAS utilise les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires contre le Canada, des Canadiens ou des alliés du Canada est faible.

Paix et sécurité régionales et internationales

  1. Le Ministère estime que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires vers le RAS contribuent, dans l’ensemble, à la paix et la sécurité dans la région. Signalons que les États parties au Traité sur le commerce des armes sont « résolus à agir conformément » à divers principes, dont « le droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu à tous les États à l’article 51 de la Charte des Nations Unies ». Comme tout autre pays, le RAS a le droit de protéger son intégrité territoriale et de se protéger contre des attaques terroristes. Le RAS a une frontière commune (terrestre) de 1 500 km avec le Yémen. Précisons que le Yémen est bordé par la Mer Rouge et le Golfe d’Aden, qui ensemble constituent un couloir majeur pour le transport maritime saoudien et international. L’instabilité au Yémen pose une menace directe au RAS puisque les houthistes ont lancé des attaques sur son territoire et que le Yémen, en tant qu’État en déliquescence, pourrait servir de refuge à des organismes terroristes comme Al-Quaïda dans la péninsule arabique et Daech.
  2. Au surplus, le RAS a grandement contribué à la négociation d’une entente entre le gouvernement yéménite et le Conseil de transition du Sud en vue de réduire la possibilité de l’ouverture d’un nouveau front dans le cadre de la guerre civile au Yémen. En effet, l’ouverture d’un nouveau front ne ferait que compliquer davantage les choses pour les Nations Unies, qui cherchent à négocier la fin du conflit entre le gouvernement yéménite et les rebelles houthistes. Le RAS a montré qu’il souhaitait travailler avec l’envoyé spécial des Nations Unies pour mettre fin au conflit. Le RAS est par ailleurs l’un des plus gros donateurs d’aide humanitaire au Yémen : il a notamment affecté 750 millions de dollars américains pour le plan d’aide humanitaire (2019) de l’ONU pour le Yémen.

Paragraphe 5(1) du Traité sur le commerce des armes

  1. Le paragraphe 5(1) du TCA stipule que chaque État partie doit appliquer « de façon cohérente, objective et non discriminatoire les dispositions du […] Traité compte tenu des principes qui y sont énoncés ». Or, le préambule du Traitéprécise que les États parties « sont résolus à agir conformément » à un certain nombre de principes, notamment :
    • Le droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu à tous les États à l’article 51 de la Charte des Nations Unies;
    • Le règlement des différends internationaux par des moyens pacifiques, de manière à ne pas mettre en danger la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice, conformément à l’article 2(3) de la Charte des Nations Unies;
    • L’abstention, dans leurs relations internationales, du recours à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies, conformément à l’article 2(4) de la Charte des Nations Unies;
    • La non-intervention dans les affaires relevant essentiellement de la compétence nationale de tout État, conformément à l’article 2(7) de la Charte des Nations Unies;
    • Le respect de l’intérêt légitime reconnu à tout État d’acquérir des armes classiques pour exercer son droit de légitime défense et contribuer à des opérations de maintien de la paix, et de produire, exporter, importer et transférer des armes classiques.
  2. À la lumière de ce qui précède, le Ministère estime que les marchandises et les technologies dont l’exportation est proposée seraient normalement considérées comme susceptibles de miner la paix et la sécurité régionales et internationales :
    • si elles étaient utilisées à des fins qui contreviennent au paragraphe 2(4) de la Charte des Nations Unies en vertu duquel les membres de l’ONU doivent s’abstenir « de recourir à la menace ou à l’emploi de la force »;
    • si elles étaient utilisées pour intervenir dans des dossiers qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un autre État;
    • si elles contribuaient à une accumulation excessive et déstabilisatrice d’armes (par exemple, en ayant une incidence sur la situation et l’équilibre des forces dans la région).

Quelques mots sur le conflit au Yémen

  1. Le conflit au Yémen s’est intensifié au cours des dix dernières années. En novembre 2011, les Nations Unies ont offert leurs bons offices pour lancer et mettre en œuvre l’initiative du Conseil de coopération du Golfe qui visait à assurer une transition politique pacifique de l’ancien président Ali Abdullah Saleh au nouveau président Abdrabbuh Mansur Hadi (un candidat du consensus élu pour piloter la transition). Or, l’opposition à M. Hadi au Yémen s’est amplifiée et a entraîné une nette escalade du conflit. En 2014, les houthistes, fidèles à l’ancien président Saleh, ont pris le contrôle de la capitale (Sanaa) et amorcé une marche en vue de prendre le contrôle de l’ensemble du pays. En mars 2015, les houthistes ont menacé de prendre la ville d’Aden (au sud du pays) où le gouvernement légitime s’était retranché après la chute de Sanaa. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a alors condamné les agissements des houthistes et a recommandé à toutes les parties de se « conformer aux dispositions arrêtées dans le cadre de l’initiative du Conseil de coopération du Golfe ».Note de bas de page 4 Puis, en 2016, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé d’imposer un embargo sur la vente d’armes aux houthistes et aux forces loyales à l’ancien président Saleh et a demandé à « tous les États membres, en particulier aux États voisins du Yémen […] de faire inspecter […] tous les chargements à destination du Yémen » et de saisir tous les chargements illégaux découverts dans le cadre de ces inspections.Note de bas de page 5 Le gouvernement yéménite officiel a demandé au Conseil de coopération du Golfe et à la Ligue des États arabes de lui apporter leur soutien, notamment sous la forme d’interventions militaires. Le Royaume d’Arabie saoudite (RAS) a réagi en pilotant la création de la Coalition pour le soutien de la légitimité au Yémen (la « Coalition ») qui regroupe neuf pays d’Afrique et du Moyen-Orient.Note de bas de page 6
  2. La Coalition a commencé à lancer des opérations militaires au Yémen en mars 2015. La participation du RAS a principalement pris la forme d’attaques aériennes et d’opérations menées par des navires saoudiens en Mer Rouge et dans le Golfe d’Aden. Or, ces opérations, qui visaient à empêcher la livraison de chargements d’armes conformément à la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, ont par le fait même bloqué pendant un certain temps la livraison de nourriture et de produits de première nécessité. Note de bas de page 7Ces questions seront abordées plus en détail ultérieurement (sous la rubrique « Critère no 2 » ci-dessous). Ajoutons que [EXPURGÉ] des Forces terrestres royales saoudiennes (FTRS) sont déployées dans le sud et l’ouest du RAS, le long de la frontière avec le Yémen, pour protéger le territoire saoudien de toute incursion houthiste. De plus, un petit nombre d’hommes des FTRS et du ministère de la Garde nationale auraient mené des opérations dans le nord et le centre du Yémen.
  3. À partir de 2015, les incursions houthistes en territoire saoudien se sont multipliées et le nombre de missiles lancés sur les communautés saoudiennes vivant le long de la frontière a augmenté. Entre janvier 2015 et novembre 2019, le RAS a été attaqué à plus de 400 reprises et la majorité de ces attaques ont été menées par des houthistes.Note de bas de page 8 Depuis 2018, les houthistes ont lancé en moyenne une attaque (missiles) par semaine sur le territoire saoudien. Les houthistes ont souvent ciblé des régions fortement peuplées (comme Riyadh, la capitale du RAS), des bases militaires, des infrastructures publiques (comme des aéroports) et des installations pétrolières.

Interdiction de recourir à la menace ou à l’emploi de la force 

  1. Le Ministère est arrivé à la conclusion que les marchandises et les technologies exportées par le Canada vers le RAS ne seraient pas utilisées pour contrevenir à l’interdiction de recourir à la menace ou à l’emploi de la force. Comme expliqué précédemment, le gouvernement yéménite légitime a expressément demandé au Conseil de coopération du Golfe et à la Ligue des États arabes de lui apporter un soutien, notamment sous la forme d’interventions militaires. De plus, le Conseil de sécurité des Nations Unies a condamné les agissements des houthistes et a prié toutes les parties de se « conformer aux dispositions arrêtées dans le cadre de l’initiative du Conseil de coopération du Golfe ». Pour toutes ces raisons, on ne peut pas dire que l’intervention militaire de la Coalition au Yémen est interdite en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Elle ne constitue ni une guerre d’agression, ni une invasion illégale.

Intervention dans des dossiers relevant de la compétence nationale d’un autre État

  1. Le Ministère est arrivé à la conclusion que les marchandises et les technologies exportées par le Canada vers le RAS ne seraient pas utilisées pour intervenir dans des dossiers relevant de la compétence nationale d’un autre État, et ce, même si elles étaient utilisées au Yémen par les forces saoudiennes. Le fait de fournir des armes à des groupes armés non étatiques pour renverser un gouvernement dûment élu est un exemple frappant d’intervention illégitime.Note de bas de page 9 Or, le RAS n’a pas commis un tel acte. Au contraire, il est intervenu pour appuyer le gouvernement yéménite légitime et non pas les rebelles houthistes. C’est contre les houthistes et les forces loyales à l’ancien président Saleh que le Conseil de sécurité des Nations Unies a imposé un embargo.

Accumulation excessive ou déstabilisatrice d’armes

  1. Les marchandises et les technologies exportées par le Canada vers le RAS ont plus de chances de contribuer à assurer la stabilité d’une région clé pour l’économie mondiale que de déstabiliser celle-ci. Au surplus, non seulement les exportations d’armes canadiennes n’ont pas d’incidence sur la situation et l’équilibre des forces dans la région, mais elles contribuent à maintenir l’équilibre régional contre les politiques expansionnistes de l’Iran et les actes déstabilisateurs d’Al-Quaïda dans la péninsule arabique et de Daech.
  2. La fourniture d’équipement militaire aux partenaires du Moyen-Orient est une conséquence directe de la participation des pays occidentaux à la première grande guerre du Golfe, l’opération Desert Storm (Tempête du désert), qui visait à expulser les forces iraquiennes qui occupaient alors le Koweït. Vu les coûts économiques et militaires considérables liés à ce conflit, les gouvernements occidentaux ont encouragé le RAS et les autres États alliés du Golfe à se doter des outils nécessaires pour assurer leur propre défense. Les gouvernements occidentaux souhaitaient ainsi limiter les besoins éventuels d’interventions militaires occidentales à grande échelle, assurer la stabilité du Golfe, prévenir la dégradation de l’ordre régional et éviter tout préjudice à l’économie mondiale.Note de bas de page 10
  3. De plus, le RAS a été le principal rempart contre les tentatives de l’Iran d’étendre son influence dans la région par alliés interposés en Syrie, au Liban et au Yémen. Les ambitions nucléaires de l’Iran constituent une menace pour la région, et plus particulièrement pour Israël. [EXPURGÉ] Le RAS a également été un partenaire clé du Canada et de ses alliés dans le cadre des efforts déployés pour trouver une issue à la guerre civile en Syrie et pour lutter contre Al-Quaïda dans la péninsule arabique et Daech.

Critère 2 – Y a-t-il un risque sérieux que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires vers le RAS puissent servir à la commission ou à faciliter la commission de violations graves du droit international humanitaire?

  1. Le Ministère a étudié la situation au Yémen et le rôle joué par le RAS dans le conflit en consultant diverses sources, comme des évaluations du renseignement et des rapports des missions d’établissement des faits de l’ONU, et plus particulièrement les rapports du Groupe d’éminents experts internationaux et régionaux sur le Yémen (le GEEY, créé en 2017) et du Groupe d’experts sur le Yémen (le PEY, créé en 2014). Parmi tous ces rapports, le rapport du PEY du 25 janvier 2019 présenté au président du Conseil de sécuritéNote de bas de page 11 et le rapport du GEEY du 9 août 2019 présenté au haut-commissaire des Nations-Unies aux droits de l’hommeNote de bas de page 12 sont les rapports les plus complets et les plus à jour sur le conflit.
  2. En résumé, les auteurs des rapports des missions d’établissement des faits de l’ONU sont arrivés à la conclusion qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le RAS aurait commis des violations graves du droit international humanitaire dans le contexte du conflit au Yémen. Comme expliqué plus en détail à l’annexe A1 du présent document, pour qu’une marchandise ou une technologie dont l’exportation est contrôlée pose un « risque sérieux », il faut qu’il y ait un risque direct, actuel et prévisible que la marchandise ou la technologie dont l’exportation est proposée entraîne des violations graves du droit international humanitaire. Le Ministère est donc arrivé à la conclusion qu’il existe un risque sérieux lié à l’exportation de certains types de marchandises ou de technologies militaires (engins air-sol, bombardiers, etc.) qui pourraient être utilisées dans le cadre d’opérations de combat au Yémen (de tels articles soulèvent des préoccupations au chapitre du droit international humanitaire). Si le ministre estime (comme le Ministère) qu’il y a un risque sérieux que ces articles puissent servir à la commission ou faciliter la commission de violations graves du droit international humanitaire en dépit de toute mesure d’atténuation potentielle, alors la demande de licence d’exportation doit être rejetée. Le Ministère a examiné toutes les licences valides existantes et les licences en attente pour ces utilisateurs finaux et il est arrivé à la conclusion qu’aucun des articles ne posait de risque sérieux de servir à la commission ou de faciliter la commission de violations graves du droit international humanitaire. Étant donné que le RAS et d’autres pays voisins sont chargés – en vertu de la résolution 2216 du Conseil de sécurité des Nations Unies (2014) – d’inspecter les chargements à destination du Yémen et de saisir les armes illégales découvertes dans le cadre de ces inspections, le Ministère évaluera soigneusement le risque que l’utilisation de tels articles puisse limiter l’accès à des fournitures humanitaires (comme cela a été le cas en 2017) lorsqu’il traitera toute demande future de licence d’exportation vers le RAS pour des marchandises ou des technologies que les forces navales saoudiennes pourraient utiliser pour la mise en œuvre légitime de ce mandat.
  3. Pour ce qui est des autres articles militaires – y compris les véhicules blindés légers – le Ministère est arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas de risque sérieux qu’ils puissent servir à la commission ou à faciliter la commission de violations graves du droit international humanitaire au Yémen (comme expliqué plus en détail ci-dessous aux paragraphes 54 à 58).

Rapport du Groupe d’experts sur le Yémen du 25 janvier 2019 (Rapport PEY)

  1. Créé par le Conseil de sécurité des Nations Unies, le Groupe d’experts sur le Yémen (le PEY) a notamment pour mandat de « réunir, examiner et analyser toutes informations provenant d’États, d’organismes des Nations Unies compétents, d’organisations régionales et d’autres parties intéressées concernant l’application des mesures édictées » en vertu de la résolution 2140 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies.Note de bas de page 13 À la lumière de l’article 9 de la résolution 2140 qui exhorte toutes les parties au conflit au Yémen à s’acquitter des obligations que leur impose le droit international, le PEY a fait enquête sur des violations potentielles du droit international humanitaire dans son rapport du 25 janvier 2019.Note de bas de page 14
  2. Le PEY a fait enquête sur cinq attaques aériennes menées par la Coalition en 2018 qui ont touché des civils et des biens à caractère civil dans les zones contrôlées par les houthistes et sur un cas de pilonnage qui pourrait être attribué à la Coalition ou aux houthistes.Note de bas de page 15 Le PEY est arrivé à la conclusion que, même si la Coalition a visé des cibles militaires dans le cadre de certaines de ces attaques, il est « très peu probable » que les principes de proportionnalité et de précaution du droit international humanitaire aient été respectés.Note de bas de page 16 De plus, le PEY a indiqué que les effets cumulatifs sur les civils et les biens à caractère civil avaient démontré que, même dans les cas où des mesures de précaution avaient été prises, celles-ci s’étaient avérées en grande partie inadéquates et inefficaces.Note de bas de page 17 Le PEY a également constaté qu’en 2018, la Coalition avait continué à entraver les vols commerciaux en partance de Sanaa que les civils yéménites auraient pu utiliser pour accéder à des traitements médicaux à l’extérieur de leur pays.Note de bas de page 18

Rapport du Groupe d’éminents experts internationaux et régionaux sur le Yémen du 9 août 2019 (Rapport GEEY)

  1. Le Groupe d’éminents experts internationaux et régionaux sur le Yémen (le GEEY) a été créé par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme à la demande du Conseil des droits de l’homme de l’ONU afin de « surveiller la situation des droits de l’homme au Yémen et d’en rendre compte ».Note de bas de page 19 Dans son rapport, le GEEY « met en lumière les faits et les schémas de comportement observés » entre septembre 2014 et juin 2019 dans le contexte du conflit au Yémen. Vu les ressources et le temps limités dont il disposait, le GEEY a mis plus particulièrement l’accent sur « certaines situations symptomatiques » du conflit armé et a classé « les cas par ordre de priorité en fonction de la gravité des allégations ».Note de bas de page 20 Le GEEY a « appliqué la règle de la preuve fondée sur des motifs raisonnables »Note de bas de page 21.
  2. Pour évaluer la conduite des hostilités par la Coalition pilotée par le RAS, le GEEY « a analysé un certain nombre de frappes aériennes typiques effectuées par la Coalition » entre juin 2018 et juin 2019.Note de bas de page 22 Le GEEY est arrivé à la conclusion « qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que des violations du droit international humanitaire avaient pu être commises dans le cadre des frappes aériennes » et que celles-ci soulevaient des préoccupations « quant à la détermination des objectifs militaires et au respect des principes de proportionnalité et de précautions dans la conduite des attaques ».Note de bas de page 23 Le GEEY a ajouté que la persistance de ces tendances jetait « un doute sérieux sur la conformité du processus de ciblage adopté par la Coalition avec les principes fondamentaux du droit international humanitaire ».Note de bas de page 24
  3. Pour ce qui est de la situation humanitaire au Yémen, le GEEY a constaté que toutes les parties au conflit avaient mené des attaques contre des « biens indispensables à la survie de la population civile ».Note de bas de page 25 Le GEEY a également noté que les frappes aériennes de la Coalition avaient « notamment détruit ou endommagé des terres agricoles, des installations hydrauliques, des infrastructures portuaires essentielles et des installations médicales ».Note de bas de page 26 Ces attaques ont considérablement amplifié les effets de ce que le GEEY a qualifié de « pire crise humanitaire dans le monde ».Note de bas de page 27 Le GEEY a d’ailleurs précisé que ces attaques constituent des violations du droit international humanitaire si elles ont été « perpétrées dans le but de priver la population civile de la valeur de subsistance de ces biens ».Note de bas de page 28
  4. Le GEEY a par ailleurs indiqué que « les restrictions d’accès imposées au Yémen par la coalition, notamment le blocus naval » et la fermeture de l’aéroport international de Sanaa avaient « considérablement limité les importations et entravé l’acheminement de secours, ce qui a grandement contribué à la détérioration de l’économie du pays ».Note de bas de page 29 Le GEEY est arrivé à la conclusion que ces mesures avaient eu des conséquences disproportionnées sur la population civile (ce qui constitue une violation du droit international humanitaire) et qu’elles pouvaient s’apparenter à une peine collective (ce qui est proscrit par le droit international humanitaire).Note de bas de page 30 De plus, le GEEY s’est dit vivement préoccupé par le fait que toutes les parties au conflit auraient cherché à utiliser la famine comme méthode de guerre.Note de bas de page 31
  5. En résumé, le GEEY a estimé qu’il avait « des motifs raisonnables de croire que les parties au conflit armé au Yémen » auraient commis un nombre important de violations du droit international humanitaire. Le GEEY a précisé que des membres de la Coalition « pourraient avoir mené des frappes aériennes en violation des principes de distinction, de proportionnalité et de précaution et avoir utilisé la famine comme méthode de guerre, actes susceptibles de constituer des crimes de guerre ».Note de bas de page 32

Mécanismes de responsabilisation et efforts pour limiter les pertes civiles au Yémen

  1. Face aux pressions internationales croissantes, le RAS a fait des efforts pour limiter le nombre de pertes civiles au Yémen. En août 2016, la Coalition (pilotée par les Saoudiens) a créé une équipe conjointe chargée d’évaluer les faits avec le soutien des États-Unis. Cette équipe avait pour mandat de faire enquête sur « les allégations de violations du droit international humanitaire commises par la Coalition » durant les opérations au Yémen, d’examiner les incidents préoccupants et d’en tirer des leçons.Note de bas de page 33 Dans son rapport du 25 janvier 2019, le PEY a noté que, dans le cas de certains des incidents sur lequel il a fait enquête, l’équipe conjointe avait identifié des erreurs quant au respect des règles d’engagement.Note de bas de page 34 Le PEY a également noté que la Coalition avait recommandé l’adoption de mesures juridiques pour amener les responsables à rendre des comptes.Note de bas de page 35 Le PEY a d’ailleurs été informé que des procédures judiciaires pourraient être lancées en vertu du code de justice militaire de l’Arabie saoudite pour traîner en justice les responsables des violations du droit international humanitaire.Note de bas de page 36
  2. Dans son rapport du 9 août 2019, le GEEY s’est dit préoccupé par le « défaut généralisé de mise en cause des responsabilités pour les violations du droit international commises par toutes les parties au conflit au Yémen ».Note de bas de page 37 En ce qui a trait spécifiquement à la Coalition, le GEEY a exprimé ses inquiétudes quant à l’indépendance, à l’impartialité et à la transparence de l’équipe conjointe. Le GEEY a signalé le peu de renseignements disponibles sur le fonctionnement, les méthodes et les « principes d’action » de l’équipe conjointe et « l’insuffisance de l’analyse juridique que comportent les conclusions » qu’elle a rendues publiques.Note de bas de page 38 Le GEEY s’est dit particulièrement préoccupé par « l’appréciation faite par l’équipe conjointe du processus de ciblage » puisqu’elle laisse entendre « qu’une attaque visant une cible militaire est licite, malgré les victimes civiles collatérales », ce qui va à l’encontre du principe de proportionnalité du droit international humanitaire.Note de bas de page 39 De plus, l’équipe conjointe « n’a pas expressément tenu la Coalition responsable d’une quelconque violation » même si elle a reconnu que « des erreurs humaines avaient été commises dans le processus de ciblage » et que des erreurs techniques avaient également été commises à différentes occasions.Note de bas de page 40 De même, dans son rapport du 25 janvier 2019, le PEY a noté qu’il n’y avait eu, à sa connaissance, aucune poursuite au RAS en lien avec la conduite des hostilités au Yémen, et ce, même si la Coalition avait recommandé l’adoption de mesures juridiques pour amener les responsables à rendre des comptes.Note de bas de page 41
  3. Des alliés du Canada – comme les États-Unis et le Royaume-Uni – ont offert des formations et donné des conseils au RAS pour améliorer le processus de ciblage et la procédure d’approbation des attaques en vue de réduire les risques de violation du droit international humanitaire. Dans le cause opposant la Campagne contre le commerce des armes au Secrétaire d’État au Commerce international du Royaume-Uni (mentionnée au paragraphe 16), le gouvernement britannique a soutenu qu’il avait procédé à une évaluation rigoureuse et solide des risques liés aux exportations militaires vers le RAS (la Cour d’appel lui a donné raison sur ce point) et avait conclu qu’il n’y avait pas de risque clair de violation du droit international humanitaire. Le gouvernement britannique a expliqué qu’il était arrivé à ces conclusions en tenant compte d’informations fournies par les Nations Unies et des organisations non gouvernementales (ONG) et d’un éventail beaucoup plus large d’informations auxquelles ces organisations ne pouvaient avoir accès, y compris des documents classifiés. La Cour d’appel a néanmoins statué que le gouvernement britannique aurait dû, vu les circonstances (c’est-à-dire étant donné que les exportations militaires étaient étroitement liées aux violations du droit international humanitaire), procéder à une évaluation plus systématique pour déterminer si la formation et le soutien apportés au RAS et les engagements pris par les Saoudiens avaient bel et bien un effet positif. Le gouvernement britannique a décidé de faire appel de cette décision et obtenu la permission d’aller devant la Cour suprême du Royaume-Uni.

Violations du droit international humanitaire avec des exportations militaires semblables

  1. Tel qu’expliqué à l’annexe A1, afin de déterminer s’il y a ou non un « risque sérieux », le Ministère étudie le bilan de l’État appelé à être l’utilisateur final des marchandises et des technologies militaires. Le Ministère cherche à déterminer si cet État a posé dans le passé des gestes (avec des exportations militaires semblables) qui auraient eu l’une ou l’autre des conséquences négatives figurant au paragraphe 7.3(1) de la LLEI. Tel qu’expliqué ci-dessus, le gouvernement britannique a perdu sa cause devant la Cour d’appel parce qu’il n’avait pas procédé à une évaluation minutieuse des violations passées du droit international humanitaire par la Coalition pilotée par le RAS au Yémen.
  2. Dans les présentes circonstances, il faut donc examiner le comportement passé du RAS pour déterminer s’il a été coupable de violations graves et répétées du droit international humanitaire en utilisant des exportations militaires semblables à celles qui sont visées par les licences et les demandes de licences dont il est question dans le présent rapport. L’intervention militaire du RAS dans le cadre du conflit au Yémen – comme décrite dans la section précédente – a toute sa pertinence pour cette évaluation.

Exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires et droit international humanitaire

  1. La liste des marchandises et technologies dont l’exportation à partir du Canada vers le RAS est contrôlée comprend surtout de l’équipement au sol, notamment des véhicules blindés légers (VBL) et des fusils pour des tireurs d’élite. Tel qu’expliqué au paragraphe 70, le Canada exporte ce genre d’équipement vers le RAS depuis les années 1990. Selon certains rapports, des véhicules blindés légers canadiens plus anciens ont été déployés le long de la frontière saoudo-yéménite pour empêcher les incursions houthistes en territoire saoudien. De plus, selon des rapports des services de renseignement, le RAS aurait également utilisé ces véhicules dans le cadre d’opérations menées au Yémen. Il semble aussi que les houthistes se seraient emparés de quelques véhicules blindés légers faits au Canada. À la fin du mois de septembre 2019, les houthistes ont déclaré que trois brigades saoudiennes avaient déposé les armes au terme d’une opération de 72 heures menée en territoire saoudien. Les houthistes ont allégué qu’ils avaient capturé des milliers d’hommes de la Coalition et qu’ils s’étaient emparés de centaines de véhicules blindés. Sur les photos publiées, on aperçoit plusieurs véhicules blindés légers dont certains sont renversés ou brûlés. Des experts de la Défense nationale estiment que les véhicules qui apparaissent sur les photos sont probablement des VBL-25 fabriqués au Canada et achetés par la Garde nationale de l’Arabie saoudite en 1990 (avec des mises à niveau possibles au milieu des années 2000). Les officiels canadiens n’ont cependant pas été en mesure de dire où et quand ces photos ont été prises. Le Ministère pense qu’il s’agit probablement de pertes résultant d’escarmouches à la frontière, et non pas de véhicules de la Garde nationale de l’Arabie saoudite qui auraient servi à des opérations par forces interposées au Yémen. De plus, de l’avis du Ministère, l’utilisation par l’armée saoudienne de VBL-25 pour protéger l’intégrité territoriale du RAS est conforme à l’usage prévu de ces véhicules.
  2. Selon certains rapports, les houthistes se seraient emparés de fusils pour tireurs d’élite fabriqués au Canada sur le théâtre des affrontements. Toutefois, cela n’est pas considéré comme un motif pour refuser une licence d’exportation, puisque la perte et le détournement intentionnel d’une arme sont deux choses distinctes. Les fusils pour tireurs d’élite visent à faciliter le tir de précision, de sorte qu’ils ont beaucoup moins de chances d’entraîner des pertes civiles non volontaires.
  3. [EXPURGÉ] Note de bas de page 42
  4. Dans son rapport du 9 août 2019, le GEEY a noté que des États tiers continuaient à fournir des armes aux parties au conflit qui fait rage au Yémen et que ces armes « alimentent le conflit et perpétuent les souffrances de la population ». Le GEEY s’interroge sur la « légalité des transferts d’armes effectués par la France, le Royaume-Uni [et] les États-Unis… ».Note de bas de page 43 Toutefois, dans son rapport, le GEEY ne s’interroge pas sur la légalité des ventes d’armes par le Canada au RAS, probablement parce que ces armes n’ont pas été utilisées dans le cadre d’opérations auxquelles sont associées les allégations de violations du droit international humanitaire.
  5. À ce jour, il n’existe aucune preuve crédible que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires sont utilisées par la Coalition pilotée par le RAS au Yémen. Les missions d’établissement des faits de l’ONU n’ont rapporté aucune violation du droit international humanitaire mettant en cause le type d’équipement militaire exporté à partir du Canada.

Critère 3 – Y a-t-il un risque sérieux que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires vers le RAS puissent servir à la commission ou à faciliter la commission de violations graves du droit international relatif aux droits de la personne?

  1.  Le Ministère est arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas de risque sérieux que les exportations canadiennes actuelles de marchandises et de technologies militaires vers le RAS puissent servir à la commission ou à faciliter la commission de violations graves du droit international relatif aux droits de la personne (répression interne, notamment).
  2. Pour évaluer le risque que des exportations de marchandises ou de technologies militaires puissent servir à la commission ou à faciliter la commission de violations graves du droit international relatif aux droits de la personne, le Conseil européen a adopté un cadre qui permet d’évaluer le risque que ces marchandises ou technologies militaires servent à la « répression interne » dans le pays où elles devraient être utilisées.Note de bas de page 44 Ce cadre vise à déterminer s’il existe des preuves que l’utilisateur final a utilisé la marchandise ou technologie en question, ou des marchandises ou des technologies semblables, à des fins de répression interne dans le pays d’utilisation finale, et à évaluer la probabilité que ces marchandises ou technologies soient utilisées à des fins autres que les utilisations finales déclarées.Note de bas de page 45
  3. Le recours au cadre européen est logique. En effet, la « répression interne » est un concept utile pour identifier le genre de violations des droits de la personne dont il y a lieu de tenir compte avant d’exporter des marchandises et des technologies militaires. En utilisant ce cadre, le Ministère n’a trouvé aucune preuve crédible que le gouvernement saoudien avait utilisé des marchandises ou d’autres articles militaires fabriqués au Canada dont l’exportation est contrôlée en vertu de la LLEI pour commettre des violations du droit international relatif aux droits de la personne (répression interne, notamment), et ce, que ce soit sur son propre territoire ou dans des pays voisins.

Situation des droits de la personne au RAS

  1. Même si le RAS a enregistré certains progrès au chapitre des droits de la personne, la situation globale demeure préoccupante, particulièrement pour ce qui est des droits politiques et civils. Divers rapports indiquent que le RAS continue de commettre de graves violations des droits de la personne : exécutions sommaires et arbitraires, torture et autres formes de traitement cruel et inhumain (châtiments corporels, p. ex.), arrestations et détentions arbitraires et non-respect des normes internationales minimales relatives au droit à un procès équitable. Ces rapports précisent que le RAS impose des limites importantes à la liberté d’expression, de réunion et de religion afin de maintenir un contrôle social et politique. De plus, selon un rapporteur spécial des Nations Unies, le RAS utilise une surveillance rapprochée, criminalise la dissidence et traduit en justice les opposants politiques, les défenseurs des droits de la personne et les personnes qui critiquent le régime sous prétexte de lutter contre le terrorisme.Note de bas de page 46 La détention d’activistes qui luttent pour les droits des femmes et les procès intentés contre ceux-ci illustrent la détermination de l’élite au pouvoir à ne pas laisser de place à l’expression personnelle. Même si le RAS est partie à certaines des principales conventions internationales relatives aux droits de la personneNote de bas de page 47, il n’a pas ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Quant à la Déclaration universelle des droits de l’homme,le RAS s’était abstenu de voter pour son adoption à l’Assemblée générale des Nations Unies (en 1948).
  2. Le meurtre de Jamal Khashoggi illustre le mépris du RAS pour les droits de la personne. Non seulement des officiels saoudiens ont-ils participé directement à l’assassinat du journaliste et critique saoudien, mais ils ont également tenté d’étouffer l’affaire. [EXPURGÉ] Un tribunal saoudien a condamné à mort cinq des onze personnes mises en accusation et en a condamné trois autres à des peines d’emprisonnement totalisant 24 années. Les officiels les plus proches du pouvoir n’ont cependant pas été condamnés. [EXPURGÉ]
  3. Selon un rapport du Département d’État américain, le système judiciaire du RAS ne respecte pas les normes internationales minimales à de nombreux égards.Note de bas de page 48 Ainsi, il arrive souvent que les détenus se voient refuser l’accès à un avocat à des étapes cruciales du processus judiciaire, particulièrement au moment de l’enquête et de la détention provisoire. De plus, les gens peuvent être gardés en détention officieuse indéfiniment jusqu’à ce que le processus d’inscription officiel soit lancé, ce qui permet aux autorités de contourner les règles régissant la durée de détention d’une personne qui n’est pas inculpée. Les juges ne sont pas tenus de publier les raisons de leurs décisions et ils peuvent interdire l’accès du public à l’audition judiciaire afin de soustraire le processus judiciaire à un examen attentif. Vers la mi-octobre 2018, certains diplomates étrangers ont eu la permission d’assister aux procédures judiciaires non consulaires. Le ministère des Affaires étrangères a depuis refusé cet accès.
  4. Depuis le printemps 2018, le RAS a annoncé plusieurs réformes sociales majeures. Le gouvernement continue de réduire le nombre de restrictions imposées aux femmes et d’ouvrir des espaces publics pour la culture et les sports. Dans l’ensemble, ces nouveaux développements ont été accueillis favorablement malgré l’opposition de certains éléments conservateurs de la société. De plus, les pouvoirs de la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice (un organisme semi-autonome qui surveille et réglemente le comportement social et les rapports entre les gens dans les espaces publics) ont récemment été réduits (on lui a notamment enlevé le pouvoir d’arrêter et de poursuivre les gens en justice), ce qui a contribué à une plus grande ouverture de la culture et à un élargissement de la liberté sociale individuelle.
  5. Pendant des décennies, le système de tutelle (un ensemble de politiques ministérielles et de pratiques qui obligeaient les femmes à demander la permission d’un tuteur masculin pour pouvoir mener leurs activités quotidiennes) a privé les femmes saoudiennes de leurs droits les plus fondamentaux, y compris la liberté de mouvement, l’indépendance économique et la possibilité de prendre des décisions relatives au mariage ou à la santé. Au cours de la dernière année, des changements majeurs ont été apportés (comme la levée de l’interdiction de conduire, en juin 2018) et ceux-ci ont permis aux femmes d’avoir plus d’indépendance. En août 2019, le roi Salman a émis un décret visant à éliminer toute une série de restrictions imposées jusque-là aux femmes de 21 ans et plus (notamment la nécessité pour une femme adulte de solliciter le consentement de son tuteur pour obtenir un passeport et pour voyager). La nouvelle loi protège aussi mieux les femmes contre la discrimination en matière d’emploi, leur assure une plus grande autonomie pour les questions liées à la famille (leur permettant d’enregistrer les naissances, les mariages ou les divorces) et leur donne davantage de droits en ce qui a trait à la garde des enfants (autant de choses qui étaient jusqu’ici la prérogative des hommes). Cependant, même si certaines interdictions ont été levées, les mentalités n’ont pas changé pour autant au sein de la famille et de la société, de sorte que les femmes continuent de faire face à des difficultés en dépit des efforts déployés par le gouvernement pour faire tomber les préjugés sexistes tenaces. On a observé une nette amélioration pour ce qui est des possibilités d’emploi et de l’indépendance économique des femmes. « Vision 2030 » vise à changer radicalement l’économie saoudienne et le contrat social entre le gouvernement et le peuple. Certains partenaires du Canada qui partagent les vues de notre pays voient dans « Vision 2030 » un plan de marche vers des réformes économiques et sociales plus larges et travaillent avec le RAS pour l’aider à atteindre ces objectifs.
  6. [EXPURGÉ]

Exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires et droit international relatif aux droits de la personne

  1. En 2017, des médias avaient rapporté que des véhicules blindés fabriqués au Canada par Terradyne avaient été utilisés pour réprimer le soulèvement de la minorité chiite du gouvernorat d’Al Qatif (dans la Province de l’Est du RAS). Le Ministère avait alors suspendu les licences d’exportation pour ces véhicules et demandé à l’ambassade du Canada à Riyadh de faire enquête.Note de bas de page 49 Au terme de nombreuses entrevues réalisées sur le terrain, le Ministère était arrivé à la conclusion que les informations des médias étaient erronées et que les véhicules blindés Terradyne n’avaient pas été utilisés pour commettre des violations des droits de la personne. Le Ministère avait donc rétabli les licences d’exportation.
  2. En mars 2011, le RAS et les Émirats arabes unis (EAU) ont envoyé des forces policières et militaires pour combattre au sein du Bouclier de la Péninsule, qui est intervenu dans le Bahreïn voisin. En effet, alors que le Printemps arabe déferlait sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, le Bahreïn a vu les demandes de réformes économiques, sociales et politiques se multiplier. Les manifestations, de plus en plus violentes, ont alors provoqué la mort de civils et de membres du personnel de sécurité. Les troupes saoudiennes n’ont pas participé aux opérations visant à étouffer les manifestations pacifiques dans le pays. Selon diverses sources, les Saoudiens auraient bel et bien envoyé au Bahreïn des véhicules blindés légers (VBL) fabriqués au Canada. Toutefois, ceux-ci n’auraient pas été utilisés pour réprimer les manifestations, mais plutôt pour protéger les infrastructures publiques.Note de bas de page 50
  3. Le Canada autorise l’exportation de marchandises et de technologies militaires vers le RAS depuis des dizaines d’années.Note de bas de page 51 Des fournisseurs canadiens exportent depuis plus de 25 ans, directement ou indirectement à travers le Programme américain de vente de matériel militaire à l’étranger, des véhicules blindés légers (VBL) vers le RAS. Pendant toutes ces années, il n’y a eu aucune preuve crédible permettant de croire que le RAS avait utilisé les VBL pour commettre des violations graves du droit international relatif aux droits de la personne ou pour faciliter la commission de telles violations (répression interne, p. ex.). Même s’il est possible que des marchandises militaires fabriquées au Canada puissent un jour être utilisées pour étouffer la dissidence interne, l’absence de toute preuve d’une telle utilisation des VBL canadiens ou d’autres marchandises canadiennes par les militaires saoudiens permet de penser que la probabilité est faible. De plus, la distinction entre une répression interne et la protection légitime de la sécurité publique n’est pas toujours claire. On ne peut pas tenir pour acquis que l’utilisation d’équipement militaire pour contrôler des manifestations est nécessairement illégitime, plutôt  qu’une opération légitime de sécurité publique. D’ailleurs, dans le cas des VBL, il n’existe aucune information crédible permettant de croire que leur utilisateur final [EXPURGÉ] s’en servirait à des fins de répression interne. [EXPURGÉ]

Critères 4 et 5 – Y a-t-il un risque sérieux que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires vers le RAS puissent servir à la commission ou à faciliter la commission d’actes de terrorisme ou d’infractions liées au crime organisé transnational?

  1. À la lumière de l’information qui figure ci-dessous, le Ministère est arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas de risque sérieux que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires vers le RAS puissent servir à la commission ou à faciliter la commission d’actes de terrorisme ou d’infractions liées au crime organisé transnational.

Terrorisme et financement du terrorisme dans le RAS

  1. Le RAS est un partenaire précieux du Canada dans le cadre de la lutte contre Al-Quaïda dans la péninsule arabique et Daech. [EXPURGÉ]
  2. Le RAS est un membre actif de la Coalition internationale contre Daech et de la campagne militaire connexe. Il est en deuxième place derrière les États-Unis pour ce qui est du nombre d’attaques aériennes lancées contre ce groupe terroriste. Le RAS préside également (conjointement avec les États-Unis et l’Italie) le Groupe de travail sur le financement du terrorisme.Note de bas de page 52 De plus, le RAS est l’un des membres fondateurs du Forum mondial de lutte contre le terrorisme (dont le Canada assume présentement la coprésidence avec le Maroc).
  3. Le RAS a été accusé de laxisme dans le cadre de sa lutte contre le financement du terrorisme et plus particulièrement en ce qui a trait aux fonds récoltés sur son territoire en appui aux entités terroristes à l’extérieur de ses frontières. Le Groupe d’action financière – le principal organisme international de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme – a estimé que le RAS faisait face à un « risque élevé et diversifié » pour ce qui est du financement du terrorisme.Note de bas de page 53 Ce risque est lié à de nombreux facteurs : l’absence de stabilité politique dans la région; la présence de groupes terroristes à proximité du RAS; la présence de cellules terroristes à l’intérieur même du RAS (notamment Al-Quaïda dans la péninsule arabique et Daech) et de groupes affiliés; ainsi que le nombre élevé de combattants terroristes de nationalité saoudienne (estimé à plus de 3 000 entre janvier 2000 et janvier 2018).Note de bas de page 54 En février 2019, la Commission européenne a recommandé l’ajout du RAS à la liste des pays à haut risque dont les mécanismes de lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme comportent des lacunes stratégiques. La proposition a toutefois été rejetée par le Conseil européen en mars 2019.
  4. Notons toutefois que les allégations de financement de terrorisme ne concernent généralement pas directement les autorités étatiques du RAS, mais plutôt des organismes à but non lucratif basés dans le pays.Note de bas de page 55 Des groupes de réflexion américains sont arrivés aux mêmes conclusions, tout en notant que les autorités saoudiennes ont dans le passé fermé les yeux sur ces activitésNote de bas de page 56 et les ont même approuvées tacitement lorsque ces organismes étaient liés à des membres de la famille royale.Note de bas de page 57 De plus, le Groupe d’action financière signale que le risque que des organismes à but non lucratif financent le terrorisme a été grandement atténué au cours de la dernière décennie parce que les autorités saoudiennes les supervisent étroitement et leur ont imposé des mesures strictes.Note de bas de page 58
  5. Outre la question du financement, il n’existe aucune preuve crédible que les autorités saoudiennes auraient fourni des marchandises ou des technologies militaires aux organisations terroristes basées dans le pays, dans la région ou ailleurs dans le monde. En février 2019, le réseau CNN a allégué que des armes fabriquées aux États-Unis et vendues au RAS et aux Émirats arabes unis auraient été utilisées par divers groupes militaires guerroyant au Yémen (y compris par Al-Quaïda dans la péninsule arabique, à travers ses alliances avec des milices pro saoudiennes actives au Yémen).Note de bas de page 59 Ces allégations n’ont toutefois pas été confirmées.
  6. Des dirigeants politiques et des chefs religieux saoudiens de premier plan ont dénoncé fermement des actes violents commis par des organisations terroristes internationales. Le RAS a par ailleurs participé activement à la lutte contre le terrorisme violent au cours des dernières années. Le rapport du Département d’État américain sur le terrorisme en Arabie saoudite (2018) signale que le gouvernement saoudien a mis sur pied des programmes de réhabilitation destinés aux personnes ayant un passé extrémiste, qu’il participe activement à des initiatives de contre-discours à l’échelle de la planète et qu’il a apporté des réformes au secteur religieux pour promouvoir un islam plus modéré. Le rapport ajoute toutefois que le soutien du RAS à des vues intolérantes dans des pays tiers persiste et que des manuels scolaires saoudiens propagent encore parfois une rhétorique violente, intolérante et extrémiste.Note de bas de page 60
  7. Le Canada et les États-Unis n’ont pas mis le RAS sur leur liste des États qui soutiennent le terrorisme.

Crime transnational organisé

  1. Le RAS est partie à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée depuis 2005.
  2. La majorité des marchandises et des technologies militaires canadiennes existantes sont vendues aux Forces armées saoudiennes ou à des forces de sécurité liées à celles-ci. Un examen de l’information disponible n’a pas permis de trouver de preuve crédible que ces forces fournissent des marchandises et des technologies militaires au crime transnational organisé.

Critère 6 – Y a-t-il un risque sérieux que les exportations canadiennes de marchandises et de technologies militaires vers le RAS puissent servir à la commission ou à faciliter la commission d’actes graves de violence fondée sur le sexe ou d’actes graves de violence contre les femmes et les enfants?

  1. La LLEI ne définit pas les notions d’actes graves de violence fondée sur le sexe et d’actes graves de violence contre les femmes et les enfants. Cependant, selon le Bureau des Nations Unies pour les affaires de désarmement (UNODA), les États parties au Traité sur le commerce des armes devraient, au moment d’évaluer les risques de tels actes, se demander :
    • s’il existe ou non des preuves que le genre d’armes décrites dans la demande de licence d’exportation (ou que des armes du même genre) a de façon répétée servi à la commission ou a facilité la commission d’actes graves de violence fondée sur le sexe ou d’actes graves de violence contre les femmes et les enfants. [traduction] (soulignement ajouté).Note de bas de page 61

Violence fondée sur le sexe dans le contexte du conflit au Yémen

  1. En se basant sur l’examen de l’information disponible, le Ministère est arrivé à la conclusion qu’il n’existait aucune preuve crédible : i) que le personnel du RAS a utilisé des marchandises ou des technologies militaires fabriquées au Canada pour commettre des actes de violence fondée sur le sexe dans le cadre du conflit au Yémen; ii) que ce genre d’équipement a été utilisé de façon répétée pour poser de tels actes. Par conséquent, le Ministère estime qu’il n’existe pas de risque sérieux que les exportations actuelles de marchandises et de technologies militaires canadiennes vers le RAS puissent servir à la commission ou à faciliter la commission d’actes graves de violence fondée sur le sexe ou d’actes graves de violence contre les femmes dans le cadre du conflit au Yémen.
  2. Le conflit au Yémen a sans contredit provoqué une crise humanitaire grave. Le secrétaire général des Nations Unies a noté que cette catastrophe humanitaire a amplifié la violence sexuelle en exacerbant la vulnérabilité des femmes et des filles et en créant une situation d’impunité généralisée, du fait de l’effondrement de la loi et de l’ordre. Dans son rapport au Conseil de sécurité, le secrétaire général a fait le constat suivant :
    • « Après quatre années d’incessantes violences, plus de 80 % de la population ont besoin d’aide et de protection humanitaires. Le nombre de cas de violences sexuelles signalés a augmenté en 2018, notamment au dernier trimestre. Il a été fait état d’agressions physiques ou sexuelles, de viols et d’esclavage sexuel. Bien que peu de cas soient directement imputables aux parties au conflit, la plupart sont la conséquence des risques accrus auxquels sont exposés les femmes et les enfants dans un contexte qui, déjà marqué par l’inégalité entre les sexes, est aggravé par l’incapacité chronique des institutions étatiques à protéger les civils. Les femmes et les enfants sont de plus en plus exposés aux risques de traite et de violence et d’exploitation sexuelles, en particulier dans les situations de déplacement. »Note de bas de page 62
  3. Cependant, ni le secrétaire général ni le Groupe d’éminents experts internationaux et régionaux sur le Yémen (le GEEY) n’ont documenté de cas précis d’actes de violence sexuelle ou d’actes de violence fondée sur le sexe commis par le personnel militaire du RAS. Le secrétaire général n’a pas attribué au RAS ou à ses alliés au Yémen des actes de violence sexuelle commis dans le cadre du conflit. Dans son rapport d’août 2018 au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le GEEY a noté qu’il « existe des motifs raisonnables de penser que des fonctionnaires [yéménites] et des membres des forces “Ceinture de sécurité” ont commis des viols et se sont livrés à d’autres formes de violence sexuelle grave contre des groupes vulnérables […], y compris des femmes et des enfants ».Note de bas de page 63 Le GEEY a soulevé directement cette question avec des représentants de la Coalition qui ont déclaré qu’ils n’avaient jamais eu vent d’allégations concernant des actes de violence sexuelle ou de violence fondée sur le sexe commis par son personnel.Note de bas de page 64 Le GEEY a néanmoins demandé aux membres de la Coalition, y compris au RAS, de procéder à des enquêtes minutieuses, impartiales et transparentes.
  4. Dans son rapport le plus récent (en 2018) sur le RAS, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes – qui a été créé en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) – a précisé qu’il estimait que le RAS a été responsable de violations des droits des femmes et des filles yéménites commises à travers ses opérations militaires au Yémen. Le Comité semble toutefois parler de violations possibles des principes de proportionnalité, de distinction et de précaution en vertu du droit international humanitaire (dont il a été question précédemment).Note de bas de page 65

Violence fondée sur le sexe sur le territoire du RAS

  1. Le Ministère n’a pas trouvé de preuve crédible permettant d’établir un lien entre des marchandises et des technologies militaires canadiennes et des actes de violence fondée sur le sexe posés à l’intérieur des frontières du RAS, ni de preuve d’une utilisation répétée de telles marchandises et technologies pour commettre de tels actes. Le Ministère est donc arrivé à la conclusion qu’il n’existe pas de risque sérieux que les marchandises et technologies militaires canadiennes existantes soient utilisées par le RAS pour commettre ou pour faciliter la commission d’actes graves de violence fondée sur le sexe ou d’actes graves de violence contre les femmes à l’intérieur de ses frontières.
  2. La Loi sur la protection contre les mauvais traitements (2013) du RAS criminalise la violence familiale et établit un cadre qui doit aider le gouvernement à prévenir cette violence et à protéger les victimes de cette violence. Même si le viol est une infraction criminelle, les autorités ont engagé peu de poursuites en raison d’obstacles juridiques et sociaux.Note de bas de page 66 Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes s’est dit préoccupé par la « forte prévalence de la violence sexiste à l’égard des femmes, en particulier la violence familiale et sexuelle, et le fait que ce phénomène reste largement méconnu et non étudié ».Note de bas de page 67 Selon un rapport du Département d’État américain sur les droits de la personne en Arabie saoudite (2018), le Programme national de sécurité familiale (une organisation quasi gouvernementale relevant du ministère de la Garde nationale) a été créé en 2005 pour sensibiliser la population au problème de la violence familiale (y compris la violence à l’égard des enfants) et pour lutter contre celle-ci. Le Programme continue depuis de signaler les cas de violence.Note de bas de page 68 Des membres de la communauté des expatriés ont indiqué qu’il est très difficile d’accéder aux services de soutien gouvernementaux dans de telles situations. Bref, les femmes continuent d’être victimes de discrimination au sein de la société saoudienne et en vertu de la loi.Note de bas de page 69

Violence à l’égard des enfants dans le contexte du conflit au Yémen

  1. En se basant sur l’examen de l’information disponible, le Ministère est arrivé à la conclusion qu’il n’existe aucune preuve crédible que le gouvernement saoudien a participé directement au recrutement et à l’utilisation d’enfants soldats ou qu’il a fourni des marchandises ou des technologies militaires canadiennes à des groupes armés au Yémen susceptibles d’utiliser de telles marchandises ou technologies pour le recrutement ou la fourniture d’enfants soldats.
  2. Comme l’a souligné le secrétaire général, « les enfants ne sont pas responsables de la guerre au Yémen mais ils paient le plus lourd tribut ».Note de bas de page 70 De 2003 à 2018, l’ONU a confirmé près de 12 000 cas de violations commises contre des enfants au Yémen. Ces violences ont pris diverses formes : recrutement et utilisation d’enfants soldats; privation de liberté pour les enfants soupçonnés d’association avec des forces armées ou des groupes armés; meurtre ou atteinte à l’intégrité physique des enfants; viols et autres formes de violence sexuelle; attaques contre des écoles et des hôpitaux; enlèvements; et refus d’accès humanitaire.Note de bas de page 71
  3. La violence à l’égard des enfants est dans de nombreux cas une conséquence directe des violations du droit international humanitaire (DIH). Le secrétaire général a dressé la liste des membres de la Coalition qui, en tant que parties au conflit, ont commis de graves violations du DIH (au détriment des enfants) en temps de conflit armé, condamnant plus particulièrement le meurtre ou l’atteinte à l’intégrité physique des enfants qui résulte du bombardement d’écoles et d’hôpitaux.Note de bas de page 72 L’évaluation par le Ministère des violations du droit international humanitaire se trouve sous le « critère no 2 » du présent document.
  4. Pour ce qui est du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats, le secrétaire général a précisé que l’ONU a pu confirmer le recrutement et l’utilisation de près de 3 000 enfants par les parties au conflit au Yémen. Près des deux tiers de ces enfants ont été recrutés et utilisés par les houthistes, et le reste, par le gouvernement yéménite et divers groupes terroristes et milices armées.Note de bas de page 73 [EXPURGÉ] Le rapport ne met toutefois pas en cause la Coalition pour ce qui est du recrutement d’enfants soldats au Yémen.
  5. En mars 2019, la Coalition a signé un protocole d’entente avec le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies sur les enfants et les conflits armés.Note de bas de page 74 Cette entente prévoit notamment la préparation d’activités précises limitées dans le temps visant à prévenir les violations graves au détriment des enfants dans le contexte des opérations militaires de la Coalition au Yémen.Note de bas de page 75 Le contenu de ce protocole d’entente n’a cependant pas été rendu public.

Annexe A1 – Explication du concept de « risque sérieux »

1. Étant donné que la LLEI ne définit pas le concept de « risque sérieux » qui figure à l’article 7.4, le Ministère a dû adopter une définition de ce concept pour les fins de l’examen des licences d’exportation d’armes vers le Royaume d’Arabie saoudite (RAS).

2. Pour élaborer une définition pratique de ce concept, le Ministère a consulté un large éventail de sources et a notamment étudié : la jurisprudence pertinente d’organismes internationaux; les textes de loi canadiens qui utilisent le concept de « risque sérieux » ou des concepts semblables; la façon dont la jurisprudence canadienne interprète le concept de « risque sérieux » ou des concepts semblables; des instruments de politique canadiens utilisant le concept de « risque sérieux » ou des concepts semblables; et la pratique des autres États parties au Traité sur le commerce des armes dans la mise en œuvre du concept de « risque prépondérant » qui est utilisé dans le Traité.

3. [EXPURGÉ]

4. À la lumière de ce qui précède, le Ministère estime que le concept de « risque sérieux » devrait être interprété et appliqué comme suit :

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