Des leçons mondiales en santé maternelle et infantile
Le contact peau à peau consiste à placer un nouveau-né sur la poitrine nue de sa mère immédiatement après sa naissance et dans les jours qui suivent.
La plupart des mères aiment recevoir des conseils parentaux provenant de différentes personnes, qu’il s’agisse de grands-parents, d’amis, voire de purs étrangers qui soutiennent leurs efforts pour prendre soin de leurs enfants, leur font des suggestions et parfois des réprimandes. La docteure Jenn Brenner, spécialiste en santé maternelle et infantile mondiale, est consciente que les conseils ainsi échangés peuvent mener assez loin.
Cette pédiatre est professeure agrégée d’enseignement clinique à la Faculté de médecine Cumming de l’Université de Calgary, où elle dirige également les projets de santé maternelle, néonatale et infantile mondiale. Ses fonctions lui procurent un point de vue unique sur ce que les pays à revenu élevé comme le Canada peuvent offrir aux pays à faible revenu, mais aussi sur les leçons qu’ils peuvent en tirer.
« Le transfert d’idées et de ressources des pays riches vers les pays pauvres fait souvent partie des programmes de santé mondiale, mais ceux-ci peuvent également être une excellente occasion d’échanges dans le sens inverse », explique la Dre Brenner.
Le contact peau à peau, qui consiste à placer un nouveau-né sur la poitrine nue de sa mère immédiatement après sa naissance et dans les jours qui suivent, constitue l’exemple parfait de ce qu’est une « innovation en sens inverse ». Selon la Dre Brenner, cette technique contribue à « accélérer la croissance et le retour à la maison des nouveau-nés, en particulier des prématurés, par rapport à la norme de référence qui prévoyait 24 heures en incubateur ». Le contact peau à peau a vu le jour en Colombie dans les années 1970 « par nécessité, puisqu’il n’y avait pas d’incubateurs et que l’électricité était rare », explique-t-elle.
Aujourd’hui, cette méthode est utilisée dans les pouponnières partout au Canada et est « acceptée comme une pratique exemplaire pour tous les nouveau-nés, qu’ils soient prématurés ou nés à terme », précise-t-elle.
Pour sa part, le Canada a beaucoup contribué à la santé maternelle et infantile à l’échelle mondiale, dans le cadre d’un « effort concerté » visant à améliorer la survie des enfants partout sur la planète, rappelle la Dre Brenner. Lorsqu’elle a commencé sa formation en pédiatrie au milieu des années 1990, plus de 12 millions d’enfants par an mouraient avant l’âge de cinq ans. Aujourd’hui, ce nombre a diminué de plus de la moitié. Même si le nombre de cinq millions de décès par an « est encore trop élevé », la tendance est encourageante. « En pédiatrie mondiale, ajoute-t-elle, on ne s’intéresse pas seulement à la survie des enfants, mais aussi à leur croissance. »
Au début de sa carrière, la Dre Brenner s’est rendue dans des pays comme l’Inde et l’Ouganda pour se former et effectuer un travail clinique, en particulier pour se familiariser avec les concepts de santé communautaire de ces pays. Depuis peu, elle dirige des partenariats dans le domaine de la santé maternelle, néonatale et infantile, qui ont été établis de longue date entre son université et des universités d’Afrique de l’Est, et qui sont appuyés par Affaires mondiales Canada. Au nombre de ces efforts collectifs considérables, mentionnons le partenariat Mère et enfant [en anglais seulement] en Tanzanie et le partenariat Enfants en santé Ouganda, [en anglais seulement], dans le cadre duquel un nouveau projet a été lancé pour répondre aux besoins en santé des adolescents et s’attaquer, entre autres, aux problèmes qui découlent de la pandémie de COVID-19.
Un contraste saisissant
Son travail à l’international a amené la Dre Brenner à voyager entre le tout nouvel Hôpital pour enfants de l’Alberta, « un établissement à la fine pointe de la technologie et d’un haut degré de technicité, l’un des meilleurs au monde », et des établissements d’Afrique de l’Est, qui sont « des bâtiments délabrés, sans électricité et souvent dépourvus d’eau courante, où sont traités des enfants tout aussi malades, mais souvent sans les médicaments essentiels et les fournitures nécessaires ».
La docteure Jenn Brenner s'informe des meilleures pratiques en matière de réanimation des nouveau-nés auprès d'une collègue dans un établissement de santé de Mwanza, en Tanzanie. Photo: Ashley Anderson
C’est un « contraste saisissant qui est difficile à supporter », avoue-t-elle. Pourtant, « j’ai été personnellement émue, inspirée et éclairée par tant de gens avec qui j’ai travaillé à l’échelle internationale, en particulier ceux qui ne possèdent presque rien, qu’il s’agisse de prestataires de soins de santé, de collectivités, de familles ou d’enfants. Je suis de plus en plus consciente des leçons que nous pourrions tirer pour le système de santé canadien si nous pouvions étudier de plus près ces situations où les ressources sont limitées et mieux réfléchir aux expériences qui y sont vécues, en particulier dans des pays beaucoup moins nantis que le nôtre », reconnaît la Dre Brenner.
Néanmoins, elle a parfois remarqué chez les Canadiens certaines réticences à l’égard de solutions simples venues de ces régions. Par exemple, lorsqu’elle a commencé à travailler en Inde et en Ouganda, elle a constaté de ses propres yeux l’efficacité de la réhydratation par voie orale pour aider les patients à se rétablir de la déshydratation causée par la diarrhée. À la fin des années 1970 au Bangladesh, — à défaut de traitements par injection intraveineuse plus coûteux et plus complexes, — on avait eu l’idée d’utiliser une solution d’eau additionnée de sucre et de sel que l’on fait boire lentement et en continu aux patients déshydratés.
« La réhydratation par voie orale pourrait bien être l’une des plus remarquables réussites de la médecine du XXe siècle », commente la Dre Brenner. Auparavant, quelque cinq millions de personnes par an, surtout des enfants, mouraient de la diarrhée, tandis qu’avec ce nouveau traitement, « le nombre de survivants a grimpé en flèche ».
De retour à Calgary, elle a encouragé l’utilisation de la réhydratation par voie orale, soulignant que ce traitement était plus facile, nécessitait moins d’injections et permettait aux patients de rentrer chez eux plus rapidement. Ses collègues praticiens et les parents étaient parfois hésitants, car « à leurs yeux, une thérapie sophistiquée par injection intraveineuse signifiait un niveau de soins plus élevé », poursuit-elle. Aujourd’hui, l’utilisation de la réhydratation par voie orale, dont un certain nombre d’études démontrent les avantages, a augmenté dans son hôpital et dans d’autres hôpitaux canadiens.
« Plus » ne veut pas toujours dire « mieux »
« Nous devons être prêts à tenter des approches moins sophistiquées et plus simples. Malgré l’abondance de tests, de traitements et de technologies dont nous disposons, « “plus” ne veut pas toujours dire “mieux” », rappelle-t-elle.
La Dre Brenner est aujourd’hui très consciente des défis que tout le monde doit affronter en raison de la pandémie de COVID-19. En effet, en tant que mère, elle doit elle aussi jongler avec les exigences de son travail et la scolarisation de son fils à la maison.
La docteure Jenn Brenner est spécialiste en santé maternelle et infantile mondiale. Photo: Melanie Yar Khan
Cependant, elle pense que la pandémie a eu ses « bons côtés », par exemple en accélérant la transition vers de nouvelles plateformes virtuelles et des habitudes comme les rendez-vous médicaux à distance, qui sont « très pratiques » pour les parents occupés. Elle espère qu’à l’avenir, certains problèmes de santé courants continueront d’être traités en ligne.
La Dre Brenner mentionne que les restrictions de voyage ont également favorisé « une nouvelle façon de travailler » avec des partenaires en santé mondiale. Par exemple, des experts internationaux en santé maternelle et infantile peuvent plus facilement faire entendre leur voix grâce aux discussions virtuelles. D’ailleurs, des équipes sur place en Afrique ont bien géré les volets techniques de projets « pour lesquels des Canadiens auraient auparavant dû voyager », souligne-t-elle. Il est important, selon elle, que nous continuions à encourager le développement de l’expertise technique à l’étranger.
Confier certaines tâches à la collectivité
Le travail auquel la Dre Brenner a participé dans le cadre de programmes de santé en Tanzanie et en Ouganda consistait principalement à mobiliser des agents de santé communautaire bénévoles. Il s’agit surtout de femmes — dont beaucoup de mères, souligne la Dre Brenner — qui sont formées entre autres pour évaluer les enfants malades, administrer des vaccins et donner des médicaments pour soigner les maladies infantiles courantes.
« En partie grâce à l’appui d’Affaires mondiales Canada, nous avons mobilisé des équipes d’agents de santé communautaire équipées de technologies mobiles pour sensibiliser la population à la COVID-19 et aux mesures de prévention visant à lutter contre sa propagation », indique la Dre Brenner. Elle estime que de tels agents de santé bénévoles auraient leur place au Canada. « Tout comme nous comptions autrefois sur nos grands-mères, nos voisins et nos aînés pour obtenir des conseils sur les soins aux enfants, rappelle-t-elle, nous avons aujourd’hui la chance de pouvoir puiser dans l’expertise et la sagesse de ces membres de la collectivité. »
Les agents de santé communautaire de l’initiative Enfants en santé Ouganda participent actuellement à un projet visant à améliorer la santé des adolescents et des jeunes (Healthy Adolescents and Young People) dans le sud du pays. Comme l’indique la Dre Brenner, ce projet vise à répondre aux besoins des jeunes de 10 à 24 ans en matière de services et de promotion de la santé — des jeunes qui sont « sous-représentés dans le système de santé » — et d’alléger le fardeau supplémentaire que leur a imposé la pandémie de COVID-19. Il est inquiétant de constater que les restrictions associées à la pandémie ont entraîné chez les adolescents un nombre accru de grossesses précoces et de comportements à risque, ainsi qu’une détérioration de la santé mentale et de la stabilité émotive.
« Il est vraiment prioritaire de remettre en selle les jeunes et les familles. Il faut normaliser la situation le plus rapidement possible. Le monde entier a besoin d’un redémarrage », précise-t-elle.
Parallèlement, la Dre Brenner estime que la crise contribue à « recentrer l’idée de santé mondiale ». Elle dit espérer que l’adoption d’une perspective mondiale améliorera notre façon d’exercer la médecine et de fournir des soins à l’avenir, ainsi que notre compréhension des modes de propagation des maladies.
« La pandémie a vraiment été un argument de poids pour justifier des investissements dans la gestion de la santé et des systèmes de soins, non seulement au Canada, mais partout dans le monde, parce que nous reconnaissons que la santé d’une population a des répercussions réelles sur la santé d’autres populations. Nous ne pouvons donc plus, conclut-elle, continuer de vivre dans nos petites bulles nationales. ».
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