Intervention consulaire d'urgence au Soudan : Le rôle du Canada dans l’effort mondial visant à mettre en sécurité les ressortissants étrangers coincés dans le pays
Credit: Affaires mondiales Canada
Après l’explosion de violence survenue à Khartoum, au Soudan, le 15 avril 2023, le Canada a rapidement joué un rôle de premier plan en organisant des discussions avec des pays d’optique commune afin de coordonner une réponse à cette crise. L’aéroport principal est fermé et les tirs d’artillerie et les frappes aériennes forcent les habitants à s’abriter dans leurs maisons, dont beaucoup n’ont pas d’électricité et où les réserves de nourriture et d’eau s’amenuisent. Dans cette situation, Affaires mondiales Canada (AMC) a organisé des appels vidéo quotidiens avec ses partenaires internationaux. Plusieurs pays ont organisé des vols militaires à partir d’une base aérienne située au nord de la ville, chacun transportant des passagers de diverses nationalités. Parmi eux se trouvaient 462 citoyens canadiens et résidents permanents, qui ont été évacués du Soudan par avion pour assurer leur sécurité. Sur 6 vols en provenance de Khartoum, le Canada a évacué 176 de ces Canadiens, résidents permanents et membres de leur famille, ainsi que 360 ressortissants étrangers originaires d’une douzaine de pays.
« C’était une zone de guerre », affirme Sébastien Beaulieu, directeur général de la sécurité et des opérations de gestion des urgences et dirigeant principal de la sécurité à AMC. Il a présidé les appels entre les partenaires, qui comprenaient des représentants des pays du G7, de l’Union européenne, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Norvège, des Nations Unies et de la Banque mondiale. Cette collaboration internationale sans précédent a permis de mettre en place un pont aérien mondial pour des milliers de personnes du monde entier bloquées au Soudan, explique M. Beaulieu. « L’entraide était telle que chaque pays a évacué plus de ressortissants étrangers que de ses propres citoyens. »
Premiers rapports d’actes de violence à Khartoum
Des rapports sur les combats violents qui ont éclaté entre les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide, un groupe paramilitaire, ont été reçus tôt dans la matinée du samedi 15 avril par le Centre de surveillance et d’intervention d’urgence (CSIU) d’AMC, ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Une équipe s’y tient informée des situations d’urgence dans le monde par divers canaux et rassemble les rapports émanant des 182 missions du Canada dans le monde.
« Il y a eu des combats dans toute la ville de Khartoum et des tirs à l’aéroport. Des avions étaient en feu sur l’aire de trafic », se souvient Yannick Lamonde, responsable du CSIU en tant que directeur des interventions d’urgence à AMC. Philip Lupul, alors ambassadeur du Canada au Soudan, a fait état de témoignages oculaires, soulignant que tout le monde avait été pris au dépourvu par ces actes de violence. Par messagerie instantanée, il a conseillé au personnel de l’ambassade de rester chez lui. « J’ai ensuite envoyé des messages à Ottawa pour dire : “Nous avons un problème ici”. »
En collaboration avec Beth Richardson, alors directrice de la Direction des relations bilatérales avec l’Afrique australe et de l’Est d’AMC, qui couvre le Soudan, M. Lamonde a organisé un appel de coordination le dimanche matin avec les diverses directions d’AMC impliquées dans la réponse à de tels incidents. Lors de l’appel du lendemain, les participants ont entendu les propos de M. Lupul sur le terrain au Soudan. « Il nous a dit que la situation était pire que la veille », se souvient M. Lamonde. Ces appels se sont transformés en réunions du groupe de travail interministériel, avec 150 participants d’AMC et d’autres ministères, y compris ceux qui font partie de l’empreinte du Canada à l’étranger. Les réunions se sont poursuivies chaque matin pendant les 3 semaines qui ont suivi.
Les liens internationaux s’avèrent essentiels
Un centre de contact d’urgence, dont le personnel est composé d’intervenants de pointe — des employés d’AMC qui s’engagent à travailler pendant des quarts de travail de 24 heures d’affilée, en plus de leur emploi habituel — recevait des appels, des courriels et des messages de Canadiennes et Canadiens « souhaitant désespérément partir », explique Martine Brunet, directrice adjointe des opérations d’urgence. Ils ont reçu des renseignements sur les restaurants et les pharmacies qui étaient ouverts et pouvaient faire des livraisons, des conseils provenant du personnel de l’ambassade du Canada et d’ambassades de pays d’optique commune.
Selon M. Beaulieu, la résolution de problèmes est nécessaire pour gérer de telles situations, et les liens internationaux en sont un élément essentiel. « Vous établissez des relations, des réseaux et des alliances pour parvenir à un résultat. » Cependant, les lignes de la coopération internationale se sont brouillées lors de la pandémie de COVID-19. « Si les réseaux ne sont pas entretenus par l’établissement de relations et de liens de confiance en personne et par la voie de communications, ils ne sont pas fiables », explique-t-il. À la fin de 2022, le Canada et ses homologues dans la gestion de crises — quelque 25 pays et organisations internationales — se sont engagés à redynamiser ces liens. Le Canada s’est porté volontaire pour accueillir les parties lors d’un Colloque sur la sécurité diplomatique en mai 2023.
Un mois avant la date prévue de cet événement, les responsables des services d’urgence et de sécurité rétablissaient leurs contacts dans le cadre de réunions vidéo quotidiennes organisées à 8 heures du matin, le Canada assumant un rôle de leadership, explique M. Beaulieu. « Tout le monde était désireux d’entendre et d’apprendre les uns des autres et de mettre les problèmes sur la table. » Les partenaires ont échangé des renseignements, qu’il s’agisse des itinéraires possibles d’évacuation par voie terrestre à travers le Soudan ou de l’emplacement des points de contrôle militaires disséminés autour de Khartoum.
Le personnel local sur le terrain est devenu une source importante de renseignements sur ce qui se passait à Khartoum. « Nous leur demandions : Quel drapeau flotte à l’aéroport? Quelles sont les routes ouvertes? Ces renseignements tactiques nous ont permis de prendre des décisions en connaissance de cause. » Ces appels de haut niveau ont été accompagnés de discussions individuelles, explique Serge Koskinen, directeur de la planification, de la formation et des exercices à AMC. « Si les gens voulaient discuter davantage, nous avions des conversations plus approfondies. »
Au cours des premiers jours de la crise, l’une des principales questions était de savoir comment chaque pays pourrait évacuer son personnel diplomatique du Soudan, la détérioration de la sécurité rendant difficile d’assurer leur sécurité. Lorsque les États‑Unis ont pris des dispositions pour évacuer leur personnel de l’enceinte de leur ambassade à l’extérieur de Khartoum par hélicoptère à partir de la nuit du samedi 22 avril, les Canadiens se sont joints à eux. Compte tenu de la situation de la sécurité à Khartoum, l’ambassade du Canada au Soudan a temporairement suspendu ses activités, son personnel travaillant depuis Djibouti et d’autres lieux sûrs pour aider à répondre à la crise. Le personnel a maintenu la communication avec le gouvernement soudanais, les pays voisins et la communauté internationale afin d’aider les Canadiens qui se trouvaient encore à l’intérieur des frontières du Soudan.
Début du pont aérien
La recherche d’un moyen d’aider leurs ressortissants à quitter le Soudan a été l’une des principales préoccupations des partenaires mondiaux. Selon M. Lupul, l’une des options envisagées pour les évacuations était de se rendre en voiture à Port‑Soudan, une ville située sur la mer Rouge, loin au nord-est de Khartoum, puis de voyager en bateau jusqu’à Djeddah, en Arabie saoudite. Un convoi de véhicules a été organisé; toutefois, chacun d’entre eux devait emporter suffisamment de carburant pour le voyage, qui devait durer une trentaine d’heures. « Ce n’était tout simplement pas une option pour la plupart des gens. »
La France, quant à elle, avait négocié avec les autorités soudanaises l’utilisation de la base aérienne de Wadi Seidna, située à une trentaine de kilomètres au nord de Khartoum, pour évacuer par avion des ressortissants français et étrangers. Des pays ont commencé à organiser des vols pour participer aux évacuations. Cette coopération mondiale était unique, d’autant plus que chaque avion transportait des personnes d’un large éventail de nationalités, explique M. Koskinen. « Chaque pays est responsable de sa population; il n’existe pas d’accord ou d’institution internationaux à cet effet. »
Selon M. Brunet, il n’a pas été facile de programmer les vols en fonction des points de contrôle et du degré d’aisance des personnes à se déplacer dans la ville. Cette situation, combinée à la rapidité avec laquelle les avions arrivaient et repartaient, a fait de la collaboration entre les pays une solution pratique. En effet, lorsque l’Aviation royale canadienne (ARC) s’est jointe à l’effort d’évacuation dans le cadre de l’opération SAVANNE le 27 avril, le premier avion Hercules C-130 qui a atterri à la base aérienne de Wadi Seidna devait prendre en charge 60 Canadiens et résidents permanents pour le voyage vers Djibouti, qui devaient ensuite s’envoler par vol nolisé commercial vers Nairobi, au Kenya. Mais 50 d’entre eux étaient déjà partis sur un vol militaire allemand à destination de la Jordanie puis de Berlin. De ce fait, l’avion de l’ARC a transporté principalement des ressortissants d’autres pays, explique M. Brunet. « Nous avons simplement essayé d’embarquer le plus grand nombre possible de passagers sur ces vols. » M. Beaulieu ajoute que « la mission essentielle n’était pas de faire monter les Canadiens dans l’avion canadien pour qu’ils rentrent au Canada, mais de les faire sortir de Khartoum et de les emmener en lieu sûr ».
Négociations en coulisses
Sur le terrain, à Djibouti, M. Lupul et Stéphane Jobin, alors ambassadeur du Canada en Éthiopie, chargé de l’Union africaine et de Djibouti, ont eu fort à faire. M. Lupul, par exemple, a dû obtenir l’autorisation d’Ali Al‑Sadiq Ali, alors ministre des Affaires étrangères du Soudan, pour que l’ARC puisse récupérer les personnes évacuées à la base aérienne de Wadi Seidna. « Nous étions soulagés d’avoir obtenu l’autorisation de faire atterrir nos avions », déclare-t-il. M. Jobin a négocié avec les autorités éthiopiennes pour que les vols de l’ARC de Khartoum à Djibouti et les vols nolisés à destination de Nairobi soient autorisés à survoler l’espace aérien éthiopien.
Les liens internationaux ont également permis au Canada d’obtenir un espace sécurisé à l’aéroport civil de Djibouti, qui est relié aux bases militaires de plusieurs pays, dont le Japon. Le premier vol de l’ARC avait à son bord plusieurs Japonais, raconte M. Jobin, qui a passé 9 ans en poste au Japon et qui était proche de l’ambassadeur du Japon à Djibouti de l’époque, Otsuka Umio. « Les Japonais ont aidé au stationnement de l’avion et ont accueilli nos passagers pendant les longues périodes d’attente. »
Des membres de l’équipe de M. Jobin en Éthiopie sont venus à Djibouti pour participer aux opérations d’évacuation. En cas de crise consulaire, AMC dispose également d’un groupe d’agents capables de se rendre rapidement sur les lieux où des ressources supplémentaires sont nécessaires, appelé « Équipe permanente de déploiement rapide ». Kim O’Reilly, membre de l’équipe, a vu la coopération internationale à l’œuvre; les Djiboutiens sont des « acteurs clés » et ont permis à des pays comme le Canada de mener leurs activités sur place.
En l’espace de 3 jours, 6 vols de l’ARC ont permis d’évacuer 536 personnes, dont un tiers originaire du Canada et le reste d’une douzaine d’autres pays. Lorsque chaque vol quittait Khartoum, « nous alertions les ambassades ou les représentants de ces pays à Djibouti pour qu’ils viennent à l’aéroport à la rencontre de leurs ressortissants », explique M. O’Reilly. « Parmi les nations amies, il y a toujours une volonté d’intervenir et d’apporter son aide ». Les 462 citoyens canadiens et résidents permanents qui ont quitté le Soudan ont été transportés par les avions militaires de 10 pays, en plus de l’ARC. En outre, une vingtaine de Canadiens ont quitté le Soudan par voie terrestre et 39 autres ont rejoint Djeddah par voie maritime.
Les collaborations internationales se poursuivent
Le pont aérien de Khartoum a permis de « sensibiliser tout le monde à l’importance des réseaux mondiaux, explique M. Beaulieu. Il s’agit de faire en sorte que nous mettions en commun nos renseignements et que nous intervenions collectivement lorsque nous sommes confrontés à une situation, qu’il s’agisse d’une évacuation, d’une insurrection ou d’un besoin d’assistance pour les activités d’une mission dans un pays donné ».
Lors du Colloque sur la sécurité diplomatique, qui s’est tenu à Ottawa du 8 au 10 mai 2023, les participants ont abordé des sujets allant des expériences récentes des pays à Khartoum aux projets de collaboration sur la formation en intervention d’urgence pour le personnel. « Nous disons à nos équipes sur le terrain qu’elles devraient parler régulièrement d’entraide », explique M. Beaulieu. Par exemple, les exercices de planification de situations d’urgence « sur table » dans les missions diplomatiques peuvent s’adresser à des fonctionnaires consulaires de pays partageant les mêmes idées. « Il est utile de savoir qui d’autre, dans la ville, sera chargé de gérer une crise. »
Le Canada a continué de présider les efforts de coordination internationale dans les crises qui ont suivi celle du Soudan, indique M. Beaulieu. Il s’est agi notamment de la réponse à un coup d’État au Niger en juillet 2023 et à un tremblement de terre au Maroc en septembre 2023. « Nos collègues se sont tournés vers nous et nous ont dit : “Vous avez orchestré le Soudan, voulez-vous reprendre ces appels?”, ajoute-t-il. Nous l’avons fait, et nous nous sommes coordonnés. Il s’agit désormais d’un nouvel outil formidable dans notre ceinture à outils de gestion des situations d’urgence ».
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